J’ai découvert derrière la silhouette d’un cerisier nu d’hiver une estampe portugaise : une impasse en coude orientée vers le Nord-Est, vers moi. Des immeubles bas, plantés en équerre face à moi, aux façades blanchies à la chaux. Leurs humbles fenêtres, aux chambranles en bois et de taille irrégulière, ne s’illuminent jamais toutes. Ils se pourrait que derrière ces murs on n’entende que la langue de Camões.
À la lumière du jour j’ai pu me rendre compte que c’était un fantasme.
Los Mochis est une ville au nord de l’état mexicain du Sinaloa qui a une population d’autour de 400.000 habitants. À l’origine, c’était un projet du socialisme utopique d’Albert Kimsey Owen, entêté à faire construire une ligne de chemin de fer qui puisse relier le Pacifique avec le centre des États-Unis— Kansas City— à travers de la Sierra de Chihuahua et de là relier New York par la route la plus courte possible. De cette époque il ne reste plus qu’une maison. Il est arrivé après l’usine-raffinerie de sucre de canne au début du XXe siècle et son boom comme site de production d’alcool pendant les années d’interdiction aux États-Unis. La ville est un centre commercial agricole, elle a un port bien équipé spécialisé dans le transport de grains.
Je suis bien du genre à me plaindre. Je ne le nie pas.
Mon beau-frère s’est fait tuer à Los Mochis le 31 août dernier. Ce n’était pas un gars qui cherchait les embrouilles mais un homme qui faisait vivre la petite famille qu’il avait construit avec ma sœur, leur petite aura bientôt 6 ans. C’était un brave gars, un maçon comme il y en a dans tous les pays du monde, il se débrouillait pas mal à donner une vie correcte à sa maisonnée.
Mais voilà que le soir du dimanche 30 au lundi 31 août il se retrouve avec un ami militaire dans un accident de la route, un simple accrochage d’après ce que ma sœur en larmes a pu me raconter. Accrochage accidentel ou provoqué? on ne saura jamais. La nuit n’est pas sûre, m’a dit mon frère hier au téléphone, on ne sort pas comme ça sur les routes de campagne. Portant mon beau-frère ne s’est pas fait tuer sur une route de campagne mais en pleine ville, sur le boulevard Centenario de Los Mochis— ouvert pour fêter le centenaire de la fondation de la ville par des communistes utopiques Américains—.
On n’est pas sérieux quand on a (deux fois) dix-sept ans. – Un beau soir, foin des bocks et de la limonade, Des cafés tapageurs aux lustres éclatants! On va sous les tilleuls verts de la promenade.
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin! L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière. Le vent chargé de bruits – la ville n’est pas loin – A des parfums de vigne et des parfums de bière… […]